mercredi 28 mars 2007

OPERA - THEATRE : Vertiges II

Vertiges II
Ou l'histoire tragique de la comédie humaine


Un spectacle de la compagnie Le Grain, Théâtre de la Voix

Une minuscule porte bleue perdue entre de petites maisonnées du Paris d'autrefois. Derrière, se cache un patio insoupçonné. Un monde de pensées, de rêves, d'engagements. Celui de Christine Dormoy, fondatrice de la compagnie Le Grain, Théâtre de la Voix. A peine revenue de Reims où était présenté Vertiges II, elle accepte de nous recevoir avant de s'envoler quelques heures plus tard vers Hambourg, en Allemagne, où le spectacle, actuellement en tournée internationale, sera donné lors de trois soirées consécutives. Morceaux choisis de ces instants volés.

« Le mois dernier, le journal Le Monde publiait la photo d'un comédien, à Bagdad, une espèce de cageot sur la tête, au milieu des décombres. Une bombe venait d'exploser, mais il continuait à jouer. L'avez-vous vu ? » interroge Christine Dormoy, coauteur du livret et metteur en scène de Vertiges II. Un temps de respiration. Puis une gorgée de café, breuvage brûlant, capable de réveiller les mots justes. « En un sens, notre création raconte la même chose, en donnant à voir une humanité traversée par des vagues de mort, des déferlantes de vie. Elle est aussi le récit d'une grande histoire collective au sein de laquelle gravitent des destins individuels qui, souvent s'ignorent, parfois vont se rencontrer. » Les textes sont signés Patrick Kermann. Une écriture singulière, capable tantôt de fracturer le langage, de l'amener à s'éroder quitte à perdre syllabes et phonèmes, tantôt de l'apaiser à travers des instants, sublimes, de poésie. La musique, quant à elle, est de Jean-Pierre Drouet, compositeur, percussionniste, au coeur de nombreuses créations contemporaines. Christine Dormoy a réalisé l'assemblage de ces deux univers. Avec beaucoup de délicatesse, d'attention.

Humain(s), trop humain(s)


Reprise de Vertiges, création originale commandée en 2000 par l'opéra national de Bordeaux, Vertiges II sollicite trois groupes d'interprètesReprise de Vertiges, création originale commandée en 2001 par l'opéra : un septuor burlesque, composé d'acteurs à la fois chanteurs et instrumentistes, un quatuor vocal et un orchestre réduit, dans cette version, à quatre musiciens.
« L'oeuvre est restée la même, à la différence près qu'elle a acquis une vraie maturité. Au moment de la création, par définition, le fruit est vert. Il vient de naître, et, souvent, l'équipe, les comédiens, le metteur en scène, autant que le public n'en comprennent pas d'emblée toute la dimension, commente Christine Dormoy. Cela est, je crois, d'autant plus vrai qu'il s'agit d'oeuvres contemporaines. » « Rejouer Vertiges est aussi, pour une compagnie lyrique indépendante comme la nôtre, un acte de résistance à travers notre obstination à monter des tournées et porter des oeuvres que nous aimons », insiste-t-elle.

La force et l'originalité de Vertiges II résident très certainement dans l'alliance, subtile, du théâtre et de l'opéra, seule capable, selon la metteur en scène, de porter un tel projet. Par-delà l'évidence, il s'agissait même pour elle d'une nécessité. « Parce que je suis passionnée par les différentes formes possibles de langages, j'avais besoin de réunir ces différents modes d'expression que sont la musique, le chant et la parole ». Avec en toile de fond, un travail de recherche constant, engagé par l'artiste depuis des années maintenant, autour de la voix, lieu de confluence entre la pensée et la parole. Voix sachant parler, sachant chanter, sachant crier. Se taire aussi. Silence !


Le rideau se lève. Le monde a mal. De ses guerres incessantes, de ses catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme. Le monde en souffre. Vu d'en haut, du balcon, les personnages du quatuor, les pensent, les envisagent, véhiculant des concepts, des idées (bien) ordonnées. Vu d'en bas, on préfère l'insolence de l'instinct. Ne pas s'embarrasser de mots qui ne veulent rien dire. Croit-on. Le septuor aime la déambulation, les sensations. Et le monde, soudain, de se fissurer. De haut en bas. De bas en haut. Les univers vont se télescoper. Vertiges II devenant le lieu, l'espace et le temps de mille et une petites histoires attachantes. Tandis que, dans un coin de la scène, l'homme est sur le point de se précipiter... dans le vide.


Texte : Cécile Moreno
Photos : F. Desmesures