samedi 28 avril 2007

MUSIQUE ET DANSE : Ivan Bellocq & Thierry Guedj

Accords parfaits

Quand la partition d'Ivan Bellocq, compositeur en résidence à l'école de musique et de danse de Bezons (Val d'Oise), rencontre la chorégraphie du danseur Thierry Guedj, le monde, soudain, est pris de vertiges.

Présenté à plusieurs reprises au public bezonnais, notamment dans le cadre du festival REV'arts, le quatuor L'abîme est en haut, création du compositeur Ivan Bellocq, en résidence depuis septembre 2006 à l'école municipale de musique et de
danse de Bezons (EMMD), sera donné à voir cette fois-ci sous une forme nouvelle puisque accompagné d'une chorégraphie conçue par Thierry Guedj, danseur, professeur de danse contemporaine à l'EMMD. Fruit d'une rencontre entre deux créateurs, enchantés l'un et l'autre d'avoir pu croiser leurs cheminements personnels, l'oeuvre finale s'enrichit de ces va-et-vient multiples entre les univers de la musique et de la danse. La réunion de ces deux mondes ne s'est pas faite sans un réel engagement de la part des deux artistes. Le passage d'une écriture de deux à quatre mains, pour plusieurs corps, exige effort et rigueur. Mais pas seulement. Du plaisir aussi. Énormément.

Un quatuor de danse vêtu

«Nous nous sommes rencontrés en septembre 2006, se souvient Ivan Bellocq. J'étais venu assister à plusieurs cours dirigés par Thierry Guedj. Je devais rendre la partition à la fin du mois de novembre. J'avais besoin de savoir pour qui j'allais écrire et j'éprouvais l'envie de cueillir des éléments susceptibles de me donner quelques pistes. » Les échanges sont fructueux. Le chorégraphe évoque l'idée de qualité de mouvements, parle de poids du corps, de verticalité et d'horizontalité, de glissements ou encore de rotations. Il rappelle les positions élémentaires situations simples, à partir desquelles il invente des formes : assis, debout, couché. Le compositeur écoute, concentré, respire les idées soufflées. Puis, il répond en quatre temps, «Vertige», «Giratoire», «Suspendu», «Lointain», qui rythmeront l'oeuvre musicale. La forme du quatuor, réunissant violon, violoncelle, accordéon et voix, s'impose alors.
« Cela faisait longtemps que je souhaitais me prêter à ce genre d'exercice, mais l'occasion ne s'était jamais présentée », souligne Ivan Bellocq, pour lequel il s'agit de la toute première collaboration avec un chorégraphe. Force de la rencontre. Énigme de la création. Les deux artistes se cherchent, s'apprivoisent. « Tout cela s'est passé de façon très naturelle, explique Thierry Guedj. Dès que j'ai entendu la musique d'Ivan, j'ai reconnu la possibilité de travailler dessus. » Comme une évidence. L'instinct aussi d'un chorégraphe, loin d'en être à son coup d'essai. Formé par Françoise Dupuis, artiste précurseur en danse contemporaine, il s'est aussi vu confier des chorégraphies pour de grands compositeurs, tels que Marcel Landowski.

Jeunes filles qui dansent

Donnée dans le cadre du Forum de la danse amateur de l'Adiam 95, la création sera interprétée par une dizaine d'élèves du cours de danse contemporaine, premier cycle, dirigé par Thierry Guedj. Côté musique, quatre professeurs de l'EMMD interpréteront sur la scène du TPE la partition d'Ivan Bellocq : Damien Michelozzi (violon), Henri Alécian (violoncelle), Martine Vove (accordéon) et Cécile Claude (voix). Une combinaison de professionnels et d'amateurs, appréciée des deux artistes qui ont vu en elle la possibilité de mener une expérience pédagogique extrêmement riche.
« Je me suis longuement interrogé pour savoir comment j'allais faire passer à la fois la danse et la musique contemporaines à mes élèves qui ont entre onze et quatorze ans, explique Thierry Guedj. Toute la difficulté était de les mettre à leur portée, en sachant qu'elles ne leur sont ni naturelles, ni familières. C'était un sacré pari.» Réussi. Le secret est sans nul doute d'avoir commencé à travailler sans musique, dans le silence, mais à l'aide de matériaux et d'objets (en l'occurrence, des élastiques) qui ont permis aux jeunes filles de mieux prendre conscience des mouvements et d'appréhender de façon différente leur rapport au sol. « La spécificité de la danse contemporaine est de mettre l'accent sur la musique des corps », confie le danseur. Une fois ce travail préparatoire accompli, tout l'art a consisté à faire se rencontrer la musique d'Ivan Bellocq, désormais enregistrée, et ces différents éléments chorégraphiques. Sans les plaquer. Mais en les invitant à coïncider. Tout en douceur.

Texte : Cécile Moreno
Photos
: Gilles Larvor (Ivan Bellocq & Thierry Guedj 2007)

*Association départementale d'information et d'actions musicales du Val d'Oise.


Les aventures d'un compositeur étonnant



Ivan Bellocq sera également à l'honneur samedi 16 juin, au théâtre Paul-Eluard, dans le cadre du forum des écoles de musique du Val-d'Oise, soutenu notamment par l'Association départementale d'information et d'actions musicales. Le public découvrira deux des nouvelles créations du compositeur : 5 Étonnements (orchestre à vent) et Aventure (orchestre à cordes), interprétés par des élèves de plusieurs écoles de musique, dont celle de Bezons. Trois compositions du répertoire de l'artiste seront aussi présentées : Hommage à Marx Ernst n°1 et n°2, Docteur Schweitzer et Un monde en chocolat, pièce ludique et gourmande, capable de faire fondre tout récalcitrant à la musique contemporaine.

Pour en savoir plus sur Ivan Bellocq :
http://www.ivanbellocq.com/


Texte : Cécile Moreno
Photo : Gilles Larvor (
Ivan Bellocq, 2007)

samedi 7 avril 2007

CINEMA : GRANDS ET PETITS COMPLEXES

De l’autre côté du périph’, quel cinéma ?



Il y a un an, le groupe UGC ouvrait seize nouvelles salles sur le site de La Défense. Quelles répercussions sur le cinéma Les Lumières, à Nanterre ? Eclairages.

Ils ne sont pas rongés par l’inquiétude. Eux aussi ont leurs arguments. Et de solides. Ils sont là depuis longtemps. Ont un public fidèle. Mais quand même. Il y a dans l’air comme un parfum d’agacement. L'ouverture le 27 avril 2006 d’un UGC Ciné Cité, énorme complexe de 3 627 places, venant se substituer aux neuf salles de cinéma que possède déjà le groupe dans le centre commercial des Quatre Temps, sur le site de La Défense, est loin de susciter l’enthousiasme chez les exploitants des petits cinémas de proximité du département. Et pour cause.
« Longtemps, les majors ont refusé de s’installer à la périphérie des grandes villes sous prétexte que ce n’était pas rentable », explique Patrick Brouiller, directeur programmateur du cinéma Les Lumières, à Nanterre, et président de l’Association française des cinémas art et essai (Afcae). Pour mieux comprendre la situation, un retour en arrière s’impose.
Fin des années 70. L’arrivée du petit écran plonge l’industrie cinématographique dans une crise d’ampleur mondiale et nationale. Monsieur Cinéma doit désormais compter avec Madame Télévision. Et ce n’est pas sans conséquences : baisse constante de la fréquentation, désertion des salles. En 1977, « La dernière séance » d’Eddie Mitchell envahit les ondes. Prémonitoire ? « Tour à tour, les cinémas de quartier ont périclité, rappelle Patrick Brouiller, laissant des villes importantes dépourvues de tout équipement.» Les grands groupes font alors le choix de rester dans les « capitales ». Courageux. Mais pas téméraires. S’aventurer de l’autre côté du périph’, pas question.
Revirement de situation. « Aujourd’hui, sourit Ramon Murga, assistant directeur du cinéma de Nanterre, la banlieue attire les grands majors qui n’hésitent pas à tenir le discours inverse de celui qu’ils ont eu des décennies durant, occultant au passage que bien des villes ont été contraintes à financer elles-mêmes leur propre cinéma. » Cela a été le cas pour Nanterre qui, à la fin des années 80, crée Les Lumières. Elle en confie alors la conception et la réalisation à la Société d’économie mixte de Nanterre (Semna) et la gestion à une équipe d’exploitants professionnels. Le cinéma ouvre ses portes le 17 décembre 1988, parrainé par Michel Piccoli, Toscan du Plantier, Medhi Charef et Jane Birkin.










Par-delà l’Arc de Triomphe

Après temps d’années d’indifférence, pourquoi l’un des géants européens du cinéma décide-t-il de s’installer de l’autre côté de l’Arc de Triomphe ? L’engouement des majors pour l’ouest francilien ne serait pas si récent, paraît-il. Hugues Borgia, directeur général d’UGC Ciné Cité, explique : « Il y a 10 ans, alors que plusieurs projets de nouveaux cinémas étaient à l’étude dans la région parisienne, nous avons identifié le besoin d’un nouveau complexe cinématographique dans l’ouest, capable d’intéresser une large population ne disposant que d’une offre assez limitée. Grâce à ses caractéristiques, La Défense s’est rapidement imposée comme le lieu naturel d’une telle implantation. » Le site cadre parfaitement avec les exigences stratégiques du groupe : « Nous suivons toujours la même idée : aller dans un quartier dont les potentialités sont très fortes, fondées sur des données objectives telles que la situation géographique dans l’agglomération, son accessibilité, les activités qui entourent le cinéma et dont l’image peut se transformer radicalement à l’occasion de l’ouverture d’un UGC Ciné Cité. C’est ce qui s’est passé aux Halles et à Bercy qui sont devenus de véritables quartiers de cinéma », précise le directeur général.
D’autres raisons expliquent ce virage à l’Ouest. Parmi elles, la forte pression foncière qui a obligé le groupe à fermer quatre de ses complexes sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris. Un cinquième, l’UGC Triomphe, est lui aussi menacé. Il est des moments où il fait bon s’expatrier. Au-delà du périph’.

Mission impossible (ou pas)

Le rendez-vous est fixé à 10 h. En bas de l’escalier Kolawsky. Le directeur du nouveau complexe de La Défense, Stéphane Briosne, nous reçoit, accompagné de deux charmantes représentantes en communication du groupe. A 32 ans, le « jeune » homme a déjà un sacré palmarès. Débutant à Lyon, à la Cité Internationale, il rejoint rapidement les nouveaux complexes Ciné Cité de Bercy et des Halles en tant que directeur adjoint, avant de prendre la direction de celui de Rosny-sous-Bois. Il est ambitieux et ne s’en cache pas. L’UGC Ciné Cité La Défense sera « le temple du cinéma de l’Ouest parisien », affirme-t-il. Faut-il croire que la bataille serait gagnée d’avance ? « Par définition, non. Mais, ajoute-t-il aussitôt, nos ambitions sont énormes. Nous entendons doubler d’emblée la fréquentation de 700 000 entrées annuelles enregistrées sur les neuf salles du cinéma UGC des Quatre Temps, qui fermeront leurs portes en mai prochain, et dépasser d’ici trois ans la barre des deux millions d’entrées sur notre nouvel équipement. » En effet.
Pour cela, le groupe se paie les moyens de ses ambitions. Soit 20 millions d’euros d’investissement. Pour un équipement de seize salles (de 163 à 394 fauteuils). La plus grande étant celle du Dôme. Magnifique. Au total, 12 000 m² consacrés au cinéma, du son numérique UGC HD dans toutes les salles, des écrans de 43 m² à 135 m². Ajoutons à cela un espace d’accueil de 1 200 m2 : hall, sandwicherie, café, expositions… Le tout réalisé par l’architecte italien Alberto Cattani. Pas de doute. UGC est un « pro » en matière de conception et de construction de belles salles.
Et puis, côté programmation, le groupe s’est fixé des objectifs de « titan » : diffuser environ 300 nouveaux films chaque année, soit une moyenne de six nouveautés par semaine, programmer plus de 100 séances quotidiennes... Sans oublier de faire du médiatique plein pot. En invitant, promet-on, chaque semaine des personnalités du milieu du cinéma. Début des festivités le 26 avril 2006 avec la présence de Tom Cruise venu présenter son nouveau film Mission impossible III et inaugurer le complexe UGC la veille donc de son ouverture au grand public. On saluera l’acteur. Pas le scientologue de renom.

Rester vigilants, mais confiants

La folie des grandeurs ? Vu d’ici, on est en droit de s’interroger. Dix huit ans après la création du cinéma Les Lumières, y-a-t-il péril dans la demeure ? Déjà, en 2001, lors de l’annonce de l’implantation d’un UGC à La Défense, la ville de Nanterre avait tiré la sonnette d’alarme. Redoutant une baisse de fréquentation des quatre salles (de 88 à 295 places) de son cinéma, elle avait formé un recours, finalement rejeté par le Conseil d’Etat au motif que « la fréquentation cinématographique dans la zone est notoirement inférieure à celle observée en région parisienne ».
Alors, UGC, un rouleau compresseur qui risque d’éteindre Les Lumières ? Et, plus largement, d’asphyxier 37 cinémas du département ? Le groupe se défend de ces mauvaises intentions. « Nous ne pouvons pas concurrencer les cinémas de Nanterre, Suresnes ou des autres villes environnantes, souligne Stéphane Briosne. Ce sont des salles de proximité qui fonctionnent avec des publics locaux. Notre positionnement est très différent du leur. Nous souhaitons rayonner sur toute la région ouest de l’agglomération parisienne, depuis la capitale (en particulier les 16e et 17e arrondissements) jusqu’aux confins des Yvelines et du Val d’Oise. »
A Nanterre, on reste optimiste. Le cinéma se porte bien : la baisse de fréquentation des salles enregistrée l’année précédente au plan national (environ 15 %) a été amortie en douceur au niveau local (seulement 4,5 %). En 2005, Les Lumières comptabilisaient 137 770 entrées contre 144 204, en 2004.
Tout de même, aucune inquiétude face à l’arrivée d’UGC ? « En dix huit ans, insiste Patrick Brouiller, nous avons su instaurer un climat de confiance avec notre public, qui vient de Nanterre essentiellement, mais aussi de Rueil, Chatou, Argenteuil ou Houilles. Va-t-il vraiment nous quitter pour aller dans un cinéma gigantesque à La Défense ? Je ne le pense pas. »
Plus inquiétant est selon lui « le phénomène de concentration de multiplex appartenant à UGC sur Paris et sa périphérie ». Quelques chiffres : UGC comptabilise à lui seul 14 cinémas et 103 écrans dans la capitale, auxquels s’ajoutent 15 cinémas et 165 écrans en région parisienne. « Entre cette politique d’extension et celle menée sur le plan tarifaire avec, notamment, la mise en place du système des cartes illimitées, UGC est passé de 25 % de part de marché à 45 % sur la capitale. Cela signifie qu’ils ont un droit de vie et de mort sur tous les films. J’estime que l’on est à la limite d’une situation d’abus dominant, forcément néfaste pour le reste du marché cinématographique », alerte le président de l’Afcae. Il reste néanmoins serein : « La peur n’évite pas le danger. Les cinémas locaux doivent rester extrêmement vigilants, mais confiants. A Nanterre, il nous importe avant tout de continuer à être rigoureux dans le travail qui est le nôtre. »
Seront donc pérennisées : la pratique de tarifs abordables pour que « le prix ne soit pas un obstacle à la fréquentation de nos salles », l’organisation d’avant-premières en présence de réalisateurs, d’acteurs et de producteurs. Mais aussi les nombreuses animations (projection de films suivant des cycles thématiques, mini festival de cinéma…) conduites depuis la création du cinéma en direction du jeune public (centres de loisirs, écoles maternelles et primaires). En 2005, 10 340 enfants ont ainsi été accueillis au cinéma. Depuis une quinzaine d’années, des actions sont également proposées aux collèges et, plus récemment, au lycée de la ville. Menées en plus des séances publiques, elles sont « le fruit d’une vision partagée de l’éducation à l’image entre la municipalité et la direction du cinéma » et « elles participent de l’identité des Lumières », souligne Ramon Murga. Avec comme matrice : faire du cinéma pour tous. Un cinéma à l’image de la ville vécue.

Une certaine idée du cinéma


L’idée est donc de présenter des films accessibles au plus grand nombre. Du coup, ne déroge-t-on pas à la stricte règle du cinéma « art et essai », visant à promouvoir des films d’auteurs plus confidentiels ? « Chaque année, depuis 8 ans, plus de la moitié des films que nous programmons sont des films classés art et essai, rappelle Ramon Murga. En 2005, Les Lumières ont diffusé 186 films. 121 d’entre eux étaient classés art et essai, dont 48 % en version originale (VO). » Et puis, il est temps de sortir des clivages. Ciné conso, ciné intello, l’opposition finit par agacer. « Il faut arrêter de penser le cinéma art et essai comme ce qui ne marche pas, parce que ennuyeux et trop intello ! », insiste le président de l’Afcae, convaincu que « les cinémas de proximité comme Les Lumières, classés art et essai, ont également vocation à présenter le pluralisme de la création cinématographique. » Sa devise, subtilisée à Jean Vilar, créateur du Théâtre national populaire : « Plus on connaît, plus on sait, plus on aime ».
« C’est la même chose pour le cinéma, insiste Patrick Brouiller. On commence par aller voir un film pour se distraire. On prend l’habitude d’y revenir. Peu à peu, le regard s’aiguise. On devient plus exigeant, puis on se tourne vers des films plus difficiles d’accès ».

Enfonçons le clou. Quelles différences dès lors entre ces aspirations plurielles et celles d’un UGC qui entend, dixit Stéphane Briosne, « s’adresser à tous les publics » et « proposer une programmation ouverte sur le cinéma mondial, allant des films à large audience aux films d’auteur » ?
Réponse de Patrick Brouiller : « UGC prendra uniquement les films art et essai qui marchent. » Le cinéma par goût du risque dans tout cela ? « UGC n’est pas dans ce créneau là. Le groupe doit toujours s’assurer que le film qu’il diffuse sera un succès ». Un court silence. « Un jour, Toscan du Plantier, producteur avisé et parrain du cinéma Les Lumières, m’a confié : « Dans le cinéma, il y a deux types de personnes : celles qui servent le cinéma et celles qui s’en servent » », sourit le président de l’Afcae. « En tant que cinéma de proximité, renchérit Ramon Murga, notre mission est totalement différente de celle d’UGC. Elle ne consiste pas à livrer des films en pâture aux spectateurs, entre une bouchée de pop-corn et une gorgée de glaçons au coca. Nous proposons des films dont nous sommes fiers et que nous avons choisis pour eux. » « Selon nous, le cinéma n’est pas seulement un lieu où l’on vient voir des films, insiste Patrick Brouiller. Il est aussi un lieu structurant en matière d’architecture et d’urbanisme. Un lieu de vie sociale dans la ville, qui participe de la démocratie locale. »

Peut-on cependant oser l’idée d’une complémentarité entre le grand complexe UGC et Les Lumières ? « Il y a de la place pour tout le monde, conçoit Patrick Brouiller, mais il n’est pas question, affirme-t-il catégorique, que l’on demande aux Lumières d’être le Samu de la diffusion cinématographique sur cette partie des Hauts-de-Seine ! Nous ne dérogerons en rien à ce qui a fait notre histoire et notre image de marque à l’égard de notre public. »
Le cinéma ? Que représente-t-il à leurs yeux ? A la version classique du nouveau directeur du complexe UGC de La Défense « à la fois un lieu de loisir et de détente pour le grand public et un espace de culture », celui des Lumières en préfère une plus imagée : « il est une arme de construction massive qui permet outre de se distraire, de susciter l’émotion et la prise de conscience citoyenne ». A méditer. En sortant.

Texte : Cécile Moreno
Photos : D.R.




Focus sur Les Lumières
Le cinéma Les Lumières a été créé en 1988 à l’initiative de la ville de Nanterre. Sa conception et sa réalisation ont été confiées à la Société d’économie mixte de Nanterre (Semna) et sa gestion à une équipe d’exploitants professionnels. Il est parrainé par Michel Piccoli, Toscan du Plantier, Medhi Charef et Jane Birkin. Il fait partie des 37 cinémas du département et des 29 équipements classés art et essai. Il se compose de quatre salles de 88, 126, 180 et 295 places. En 2004, il totalisait 144 204 entrées.


UGC non sans complexes
Créé par l’association de différents réseaux régionaux de salles de cinéma en 1971, le groupe UGC est aujourd’hui l’un des premiers groupes européens d’exploitation cinématographique. Il intervient également dans les domaines de la production, de la distribution et du négoce de droits audiovisuels. L’ensemble des activités d’exploitation, regroupé sous UGC Ciné Cité, compte aujourd’hui plus de 500 écrans. Répartis dans quatre pays d’Europe (France, Espagne, Belgique et Italie), ils totalisaient plus de 39 millions d’entrées en 2004.

DANSE - Portrait d'Elisabeth PLATEL




DR


Elisabeth Platel,
directrice de l’école de danse de l’Opéra national de Paris



Le sacre d’une vie dansée


Après avoir brillé pendant plus de vingt ans à l’Opéra national de Paris où elle fut nommée danseuse Etoile en 1981, Elisabeth Platel est aujourd’hui directrice de l’Ecole de danse de cette prestigieuse institution.

Le rendez-vous était fixé à 12 h 30. Dans les locaux qu’occupe depuis bientôt vingt ans l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris. Au 4, allée de la Danse, à Nanterre. Quelques instants d’attente. Puis, soudain, la porte s’ouvre. Une silhouette gracieuse et élégante apparaît. Elle s’avance, légère. De longs cheveux noirs encadrent un visage de toute beauté. « Entrez, je vous en prie », dit-elle, avant de se glisser délicatement derrière le rideau en velours rouge qui orne l’entrée de son bureau. La pièce, décorée avec goût, est charmante. Ici et là, sur les murs d’une blancheur presque méditerranéenne, des photographies soigneusement encadrées. L’œil s’y attarde, comme happé par la magie des formes qu’il découvre. Des corps tantôt solitaires, tantôt enlacés les uns aux autres, saisis, à chaque fois, dans le souffle d’un mouvement. Celui-là même qui les entraîne à s’épanouir au sein d’un espace défini, ou, au contraire, les invite à repousser les limites, à oser sortir du cadre pour se risquer vers des horizons inconnus. Tous entiers concentrés sur un point de fuite. A la recherche, peut-être, d’une nouvelle perspective. Plus en retrait, mais néanmoins visibles, des clichés de « famille ». Celle de l’Opéra national de Paris. Là même où Elisabeth a « grandi », où elle s’est épanouie et a su prendre son envol. Sur ces instantanés, en noir et blanc ou en couleurs, la danseuse apparaît, souriante, aux côtés de ses « maîtres à danser » ou compagnons de scène. Car, comme bien des parcours, celui d’Elisabeth Platel est fait de rencontres qui ont jalonné son apprentissage de la danse. Des complicités parfois immédiates, d’autres fois, plus lentes à instaurer, mais qui ont, chacune, laissé en elle une empreinte singulière. Certaines ont pu l’influencer, d’autres éveiller en elle le besoin de s’affranchir. En tout cas, de s’interroger et de questionner toujours davantage ses pratiques. D’avancer, coûte que coûte, que ce soit sur la pointe des pieds ou à tâtons, mais toujours avec une seule ambition, celle de danser, danser, danser…

Elisabeth Platel esquisse ses premiers pas de danse au Conservatoire de la ville de Saint-Germain-en-Laye (78).
« Comme beaucoup d’enfants de ma génération, c’est un médecin qui a conseillé à mes parents de m’inscrire à un cours de danse pour redresser mes pieds et mes jambes », sourit-elle.
C’est ainsi qu’elle enfile, à sept ans, ses premiers chaussons et pointes.
« En fait, je ne me suis pas posée de questions. La danse me plaisait et elle me procurait un vrai plaisir. Cela dit, j’ai eu une enfance tout à fait normale. J’allais à l’école, j’étais même une bonne élève. Mon père, biologiste, enseignant à l’université Paris VII, et ma mère, professeur d’allemand dans un établissement privé, ont toujours veillé à cela. En aucun cas, étant enfant, je n’ai été une Stakhanoviste de la danse, ni suivi d’entraînement intensif pour le devenir. La danse faisait partie de ma vie, mais elle n’était pas mon seul centre d’intérêt. » Une exigence d’un double apprentissage, à la fois scolaire et artistique, que défend aujourd’hui avec force la directrice de l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris.
Pendant quatre ans, Elisabeth suit donc les cours de danse de Jacqueline Cochet, avant de présenter, sur ses conseils, le concours d’entrée au Conservatoire supérieur de musique et danse de Paris. Sa candidature est retenue. Un premier tournant dans la vie d’Elisabeth qui, à 11 ans, intègre cet établissement de renom. « Le jour même où je suis entrée au Conservatoire, confie-t-elle, j’ai su que je voulais aller à l’Opéra. » Sa rencontre avec Christiane Vaussard, ancienne danseuse Etoile, professeur au Conservatoire de Paris, ainsi qu’à l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris, va être déterminante.
« C’est elle qui a forgé les bases artistiques de mon travail. Tout comme Jacqueline Cochet, Christiane est une femme d’une extrême générosité, mais aussi d’une grande rigueur. Nous n’avions pas le droit de tergiverser, se souvient Elisabeth. Le pas devait être exécuté d’une certaine manière. Ce n’était pas à nous de chercher une autre façon de le faire. » En 1975, Elisabeth obtient le premier prix du Conservatoire national supérieur de musique et danse de Paris ; ce qui lui permet d’intégrer en dernière année directement l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris. Elle y retrouve Christiane Vaussard, mais fait également ses classes aux côtés du danseur, Alexandre Kalioujny. « Cette rencontre a été pour moi une vraie révélation. Grâce à lui, dit-elle, je suis entrée dans l’âge adulte. Il m’a appris à faire ce que jusqu’ici je n’avais jamais fait. Cesser d’exécuter, de reproduire et oser, en quelque sorte, apprendre à travailler seule. Ayant un tempérament très discipliné, j’avais jusqu’alors toujours ressenti le besoin que l’on m’impose des règles. Sacha m’a permis d’acquérir une vraie autonomie. Ancien champion d’échecs, il concevait ses cours comme un jeu. A chaque fois, il nous soumettait un problème différent. Il nous observait, s’amusait à voir comment nous allions nous en sortir. Lorsque nous étions « en panne », il nous donnait quelques indices. Quand nous nous en sortions, il nous proposait une nouvelle énigme. Ses cours étaient de vrais laboratoires qui nous préparaient à affronter tout type de ballets. »
Les événements vont alors s’enchaîner à une rapidité vertigineuse. A 17 ans, un an après son entrée à l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris, Elisabeth est engagée dans le Corps de ballet, puis, très vite, promue première danseuse. Une ascension qui lui vaut ses premiers rôles de solistes dans les ballets de Georges Balanchine, qu’elle rencontre d’ailleurs à New York dans les années 80 (Divertimento n° 15 et Les Quatre Tempéraments), dans l’Intégrale d’Erik Satie (Parade), mais aussi d’être choisie par Maurice Béjart pour être la partenaire de Jean Babilée dans Life, créé à l’Opéra en juin 1979. Elle incarnera plus tard « l’Elue » du Sacre du Printemps. « Pour la gamine de 19 ans que j’étais, se retrouver entre de tels monstres sacrés était quelque chose d’extraordinaire. Il est certain que cette expérience a marqué une date importante dans ma carrière, même si Maurice Béjart n’a pas été, par la suite, un chorégraphe qui a influencé mon travail artistique, car nous n’avons finalement que très peu travaillé ensemble.»
Deux ans plus tard, le 23 décembre 1981, à l’issue de son interprétation de Giselle, Elisabeth Platel est nommée danseuse Etoile. Une consécration pour celle qui, déjà, est reconnue comme l’une des plus grandes interprètes françaises du répertoire classique et académique. Hasard ou coïncidence ? La même année, Rudolf Noureev prend la direction du Ballet de l’Opéra national de Paris. Le grand maître russe la remarque et fait d’elle l’une de ses interprètes fétiches, en lui confiant, tour à tour, les rôles titres de Raymonda, du Lac des Cygnes, de La Belle au bois dormant, mais aussi celui de Gamzatti dans son ultime création, La Bayadère.

« Il y a parfois des miracles dans la vie, souffle Elisabeth. Rudolf en était un. Il a su porter la génération issue de l’école de la danse française à son apogée. Il nous a entraîné dans sa folie et nous l’avons suivi aveuglément. Il nous disait toujours cette jolie phrase : « Ne parlez pas. Faîtes! ». Nous avons vécu, comme lui, à 100 à l’heure. Grâce à lui, poursuit-elle, le Ballet de l’Opéra national de Paris s’est présenté, pour la première fois, en juillet 1986, à New York. A l’époque, c’était un événement exceptionnel. Nous avons remporté un vrai triomphe qui a eu des retombées extrêmement positives autant sur le prestige du Ballet de l’Opéra, que sur le lancement de nos carrières individuelles au niveau international. »
Néanmoins, c’est avant tout la rencontre avec le chorégraphe John Neumeier, avec lequel elle continue aujourd’hui de travailler, qui va profondément marquer sa carrière. Une impalpable complicité se crée entre les deux êtres.
« Du Songe d’une nuit d’Été jusqu’à la création de Sylvia, sans omettre l’inoubliable Dame aux Camélias, John m’a donné les moyens de me renouveler, de rechercher en moi de nouvelles forces et d’explorer de nouvelles formes. » Une quête qu’elle poursuit aux
côtés de chorégraphes contemporains, tels que Alwin Nikolaïs (Schéma) ou encore Glen Tetley (Voluntaries), tout en continuant à défendre avec raffinement le grand style classique de l’Ecole française.


Le 9 juillet 1999, Elisabeth fait ses adieux « officiels » à l’Opéra, mais elle continue de s’y produire en qualité d’Etoile invitée et elle est sollicitée par les plus grandes compagnies et les plus prestigieux théâtres étrangers (Ballet du Théâtre Bolchoï de Moscou, Royal Ballet de Londres, Ballets de Hambourg, du Danemark, Ballet du Théâtre Kirov de Saint-Pétersbourg). Sereine, la belle Elisabeth entend aujourd’hui transmettre son savoir-faire à cette centaine de petits rats, âgés de 12 à 18 ans, qui fréquentent son école. Avec de la rigueur, certes. Mais aussi bienveillance et attention. Car « la danse, dit-elle, est avant tout un plaisir. » Et non un sacrifice.


Texte : Cécile Moreno
Photos: D.R.

mercredi 28 mars 2007

OPERA - THEATRE : Vertiges II

Vertiges II
Ou l'histoire tragique de la comédie humaine


Un spectacle de la compagnie Le Grain, Théâtre de la Voix

Une minuscule porte bleue perdue entre de petites maisonnées du Paris d'autrefois. Derrière, se cache un patio insoupçonné. Un monde de pensées, de rêves, d'engagements. Celui de Christine Dormoy, fondatrice de la compagnie Le Grain, Théâtre de la Voix. A peine revenue de Reims où était présenté Vertiges II, elle accepte de nous recevoir avant de s'envoler quelques heures plus tard vers Hambourg, en Allemagne, où le spectacle, actuellement en tournée internationale, sera donné lors de trois soirées consécutives. Morceaux choisis de ces instants volés.

« Le mois dernier, le journal Le Monde publiait la photo d'un comédien, à Bagdad, une espèce de cageot sur la tête, au milieu des décombres. Une bombe venait d'exploser, mais il continuait à jouer. L'avez-vous vu ? » interroge Christine Dormoy, coauteur du livret et metteur en scène de Vertiges II. Un temps de respiration. Puis une gorgée de café, breuvage brûlant, capable de réveiller les mots justes. « En un sens, notre création raconte la même chose, en donnant à voir une humanité traversée par des vagues de mort, des déferlantes de vie. Elle est aussi le récit d'une grande histoire collective au sein de laquelle gravitent des destins individuels qui, souvent s'ignorent, parfois vont se rencontrer. » Les textes sont signés Patrick Kermann. Une écriture singulière, capable tantôt de fracturer le langage, de l'amener à s'éroder quitte à perdre syllabes et phonèmes, tantôt de l'apaiser à travers des instants, sublimes, de poésie. La musique, quant à elle, est de Jean-Pierre Drouet, compositeur, percussionniste, au coeur de nombreuses créations contemporaines. Christine Dormoy a réalisé l'assemblage de ces deux univers. Avec beaucoup de délicatesse, d'attention.

Humain(s), trop humain(s)


Reprise de Vertiges, création originale commandée en 2000 par l'opéra national de Bordeaux, Vertiges II sollicite trois groupes d'interprètesReprise de Vertiges, création originale commandée en 2001 par l'opéra : un septuor burlesque, composé d'acteurs à la fois chanteurs et instrumentistes, un quatuor vocal et un orchestre réduit, dans cette version, à quatre musiciens.
« L'oeuvre est restée la même, à la différence près qu'elle a acquis une vraie maturité. Au moment de la création, par définition, le fruit est vert. Il vient de naître, et, souvent, l'équipe, les comédiens, le metteur en scène, autant que le public n'en comprennent pas d'emblée toute la dimension, commente Christine Dormoy. Cela est, je crois, d'autant plus vrai qu'il s'agit d'oeuvres contemporaines. » « Rejouer Vertiges est aussi, pour une compagnie lyrique indépendante comme la nôtre, un acte de résistance à travers notre obstination à monter des tournées et porter des oeuvres que nous aimons », insiste-t-elle.

La force et l'originalité de Vertiges II résident très certainement dans l'alliance, subtile, du théâtre et de l'opéra, seule capable, selon la metteur en scène, de porter un tel projet. Par-delà l'évidence, il s'agissait même pour elle d'une nécessité. « Parce que je suis passionnée par les différentes formes possibles de langages, j'avais besoin de réunir ces différents modes d'expression que sont la musique, le chant et la parole ». Avec en toile de fond, un travail de recherche constant, engagé par l'artiste depuis des années maintenant, autour de la voix, lieu de confluence entre la pensée et la parole. Voix sachant parler, sachant chanter, sachant crier. Se taire aussi. Silence !


Le rideau se lève. Le monde a mal. De ses guerres incessantes, de ses catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme. Le monde en souffre. Vu d'en haut, du balcon, les personnages du quatuor, les pensent, les envisagent, véhiculant des concepts, des idées (bien) ordonnées. Vu d'en bas, on préfère l'insolence de l'instinct. Ne pas s'embarrasser de mots qui ne veulent rien dire. Croit-on. Le septuor aime la déambulation, les sensations. Et le monde, soudain, de se fissurer. De haut en bas. De bas en haut. Les univers vont se télescoper. Vertiges II devenant le lieu, l'espace et le temps de mille et une petites histoires attachantes. Tandis que, dans un coin de la scène, l'homme est sur le point de se précipiter... dans le vide.


Texte : Cécile Moreno
Photos : F. Desmesures