samedi 7 avril 2007

DANSE - Portrait d'Elisabeth PLATEL




DR


Elisabeth Platel,
directrice de l’école de danse de l’Opéra national de Paris



Le sacre d’une vie dansée


Après avoir brillé pendant plus de vingt ans à l’Opéra national de Paris où elle fut nommée danseuse Etoile en 1981, Elisabeth Platel est aujourd’hui directrice de l’Ecole de danse de cette prestigieuse institution.

Le rendez-vous était fixé à 12 h 30. Dans les locaux qu’occupe depuis bientôt vingt ans l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris. Au 4, allée de la Danse, à Nanterre. Quelques instants d’attente. Puis, soudain, la porte s’ouvre. Une silhouette gracieuse et élégante apparaît. Elle s’avance, légère. De longs cheveux noirs encadrent un visage de toute beauté. « Entrez, je vous en prie », dit-elle, avant de se glisser délicatement derrière le rideau en velours rouge qui orne l’entrée de son bureau. La pièce, décorée avec goût, est charmante. Ici et là, sur les murs d’une blancheur presque méditerranéenne, des photographies soigneusement encadrées. L’œil s’y attarde, comme happé par la magie des formes qu’il découvre. Des corps tantôt solitaires, tantôt enlacés les uns aux autres, saisis, à chaque fois, dans le souffle d’un mouvement. Celui-là même qui les entraîne à s’épanouir au sein d’un espace défini, ou, au contraire, les invite à repousser les limites, à oser sortir du cadre pour se risquer vers des horizons inconnus. Tous entiers concentrés sur un point de fuite. A la recherche, peut-être, d’une nouvelle perspective. Plus en retrait, mais néanmoins visibles, des clichés de « famille ». Celle de l’Opéra national de Paris. Là même où Elisabeth a « grandi », où elle s’est épanouie et a su prendre son envol. Sur ces instantanés, en noir et blanc ou en couleurs, la danseuse apparaît, souriante, aux côtés de ses « maîtres à danser » ou compagnons de scène. Car, comme bien des parcours, celui d’Elisabeth Platel est fait de rencontres qui ont jalonné son apprentissage de la danse. Des complicités parfois immédiates, d’autres fois, plus lentes à instaurer, mais qui ont, chacune, laissé en elle une empreinte singulière. Certaines ont pu l’influencer, d’autres éveiller en elle le besoin de s’affranchir. En tout cas, de s’interroger et de questionner toujours davantage ses pratiques. D’avancer, coûte que coûte, que ce soit sur la pointe des pieds ou à tâtons, mais toujours avec une seule ambition, celle de danser, danser, danser…

Elisabeth Platel esquisse ses premiers pas de danse au Conservatoire de la ville de Saint-Germain-en-Laye (78).
« Comme beaucoup d’enfants de ma génération, c’est un médecin qui a conseillé à mes parents de m’inscrire à un cours de danse pour redresser mes pieds et mes jambes », sourit-elle.
C’est ainsi qu’elle enfile, à sept ans, ses premiers chaussons et pointes.
« En fait, je ne me suis pas posée de questions. La danse me plaisait et elle me procurait un vrai plaisir. Cela dit, j’ai eu une enfance tout à fait normale. J’allais à l’école, j’étais même une bonne élève. Mon père, biologiste, enseignant à l’université Paris VII, et ma mère, professeur d’allemand dans un établissement privé, ont toujours veillé à cela. En aucun cas, étant enfant, je n’ai été une Stakhanoviste de la danse, ni suivi d’entraînement intensif pour le devenir. La danse faisait partie de ma vie, mais elle n’était pas mon seul centre d’intérêt. » Une exigence d’un double apprentissage, à la fois scolaire et artistique, que défend aujourd’hui avec force la directrice de l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris.
Pendant quatre ans, Elisabeth suit donc les cours de danse de Jacqueline Cochet, avant de présenter, sur ses conseils, le concours d’entrée au Conservatoire supérieur de musique et danse de Paris. Sa candidature est retenue. Un premier tournant dans la vie d’Elisabeth qui, à 11 ans, intègre cet établissement de renom. « Le jour même où je suis entrée au Conservatoire, confie-t-elle, j’ai su que je voulais aller à l’Opéra. » Sa rencontre avec Christiane Vaussard, ancienne danseuse Etoile, professeur au Conservatoire de Paris, ainsi qu’à l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris, va être déterminante.
« C’est elle qui a forgé les bases artistiques de mon travail. Tout comme Jacqueline Cochet, Christiane est une femme d’une extrême générosité, mais aussi d’une grande rigueur. Nous n’avions pas le droit de tergiverser, se souvient Elisabeth. Le pas devait être exécuté d’une certaine manière. Ce n’était pas à nous de chercher une autre façon de le faire. » En 1975, Elisabeth obtient le premier prix du Conservatoire national supérieur de musique et danse de Paris ; ce qui lui permet d’intégrer en dernière année directement l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris. Elle y retrouve Christiane Vaussard, mais fait également ses classes aux côtés du danseur, Alexandre Kalioujny. « Cette rencontre a été pour moi une vraie révélation. Grâce à lui, dit-elle, je suis entrée dans l’âge adulte. Il m’a appris à faire ce que jusqu’ici je n’avais jamais fait. Cesser d’exécuter, de reproduire et oser, en quelque sorte, apprendre à travailler seule. Ayant un tempérament très discipliné, j’avais jusqu’alors toujours ressenti le besoin que l’on m’impose des règles. Sacha m’a permis d’acquérir une vraie autonomie. Ancien champion d’échecs, il concevait ses cours comme un jeu. A chaque fois, il nous soumettait un problème différent. Il nous observait, s’amusait à voir comment nous allions nous en sortir. Lorsque nous étions « en panne », il nous donnait quelques indices. Quand nous nous en sortions, il nous proposait une nouvelle énigme. Ses cours étaient de vrais laboratoires qui nous préparaient à affronter tout type de ballets. »
Les événements vont alors s’enchaîner à une rapidité vertigineuse. A 17 ans, un an après son entrée à l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris, Elisabeth est engagée dans le Corps de ballet, puis, très vite, promue première danseuse. Une ascension qui lui vaut ses premiers rôles de solistes dans les ballets de Georges Balanchine, qu’elle rencontre d’ailleurs à New York dans les années 80 (Divertimento n° 15 et Les Quatre Tempéraments), dans l’Intégrale d’Erik Satie (Parade), mais aussi d’être choisie par Maurice Béjart pour être la partenaire de Jean Babilée dans Life, créé à l’Opéra en juin 1979. Elle incarnera plus tard « l’Elue » du Sacre du Printemps. « Pour la gamine de 19 ans que j’étais, se retrouver entre de tels monstres sacrés était quelque chose d’extraordinaire. Il est certain que cette expérience a marqué une date importante dans ma carrière, même si Maurice Béjart n’a pas été, par la suite, un chorégraphe qui a influencé mon travail artistique, car nous n’avons finalement que très peu travaillé ensemble.»
Deux ans plus tard, le 23 décembre 1981, à l’issue de son interprétation de Giselle, Elisabeth Platel est nommée danseuse Etoile. Une consécration pour celle qui, déjà, est reconnue comme l’une des plus grandes interprètes françaises du répertoire classique et académique. Hasard ou coïncidence ? La même année, Rudolf Noureev prend la direction du Ballet de l’Opéra national de Paris. Le grand maître russe la remarque et fait d’elle l’une de ses interprètes fétiches, en lui confiant, tour à tour, les rôles titres de Raymonda, du Lac des Cygnes, de La Belle au bois dormant, mais aussi celui de Gamzatti dans son ultime création, La Bayadère.

« Il y a parfois des miracles dans la vie, souffle Elisabeth. Rudolf en était un. Il a su porter la génération issue de l’école de la danse française à son apogée. Il nous a entraîné dans sa folie et nous l’avons suivi aveuglément. Il nous disait toujours cette jolie phrase : « Ne parlez pas. Faîtes! ». Nous avons vécu, comme lui, à 100 à l’heure. Grâce à lui, poursuit-elle, le Ballet de l’Opéra national de Paris s’est présenté, pour la première fois, en juillet 1986, à New York. A l’époque, c’était un événement exceptionnel. Nous avons remporté un vrai triomphe qui a eu des retombées extrêmement positives autant sur le prestige du Ballet de l’Opéra, que sur le lancement de nos carrières individuelles au niveau international. »
Néanmoins, c’est avant tout la rencontre avec le chorégraphe John Neumeier, avec lequel elle continue aujourd’hui de travailler, qui va profondément marquer sa carrière. Une impalpable complicité se crée entre les deux êtres.
« Du Songe d’une nuit d’Été jusqu’à la création de Sylvia, sans omettre l’inoubliable Dame aux Camélias, John m’a donné les moyens de me renouveler, de rechercher en moi de nouvelles forces et d’explorer de nouvelles formes. » Une quête qu’elle poursuit aux
côtés de chorégraphes contemporains, tels que Alwin Nikolaïs (Schéma) ou encore Glen Tetley (Voluntaries), tout en continuant à défendre avec raffinement le grand style classique de l’Ecole française.


Le 9 juillet 1999, Elisabeth fait ses adieux « officiels » à l’Opéra, mais elle continue de s’y produire en qualité d’Etoile invitée et elle est sollicitée par les plus grandes compagnies et les plus prestigieux théâtres étrangers (Ballet du Théâtre Bolchoï de Moscou, Royal Ballet de Londres, Ballets de Hambourg, du Danemark, Ballet du Théâtre Kirov de Saint-Pétersbourg). Sereine, la belle Elisabeth entend aujourd’hui transmettre son savoir-faire à cette centaine de petits rats, âgés de 12 à 18 ans, qui fréquentent son école. Avec de la rigueur, certes. Mais aussi bienveillance et attention. Car « la danse, dit-elle, est avant tout un plaisir. » Et non un sacrifice.


Texte : Cécile Moreno
Photos: D.R.

Aucun commentaire: